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Capital- L'Europe Financière

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UNE  CHRONIQUE

d’Alain Lemasson

(Capital.fr le 8 avril 2024)

    

 

 

L'Europe Financière

(le titre a été changé)

  

Effacer les frontières financières entre les États, favoriser la circulation de l’épargne, substituer la culture du risque à celle de la rente, tels sont les défis posés à l’Europe. Des défis de taille, et surtout les clés de notre souveraineté économique, puisqu’il s’agit de donner aux entreprises européennes les moyens de résister à la puissante concurrence américaine et bientôt chinoise. La création d’un marché financier pan-européen, capable d’orienter directement l’épargne européenne vers les entreprises conditionne cette évolution.

 

Il faut avoir conscience en effet que les moyens traditionnels de financement – autofinancement et crédit bancaire – ne sont plus à la hauteur des besoins de l’économie. L’essor récent des startups françaises et allemandes, montre par exemple l’importance du « capital-risque », c’est-à-dire de la prise de participation des investisseurs dans le capital des sociétés naissantes.

 

Investir dans une startup, c’est la possibilité de gagner beaucoup … ou de tout perdre, si l’entreprise n’est pas viable. Un risque que ni les banques, ni même la bourse ne veulent prendre. Le retard de l’Europe dans le domaine des startups est impressionnant. Selon les données publiées par la Direction Générale du Trésor, les investissements en capital-risque étaient en 2020 de 25 milliards $ en Europe (hors Royaume-Uni) contre … 145 milliards $ aux États-Unis et 57 milliards en Chine. 

 

L’IPO, une entrée d’argent immédiate et non remboursable 

L’investissement par le biais de la bourse est moins risqué pour l’investisseur, car il concerne des entreprises plus matures que les startups. Il faut bien voir ce que représente pour l’entreprise une entrée en bourse, une IPO (Initial Public Offering) en jargon boursier.

 

Cette opération se compare à l’encaissement immédiat d’une sorte de prêt d’un type très particulier, non remboursable, et sans intérêts fixés d’avance. Sur ce point également, l’écart avec les États-Unis est impressionnant, puisqu’en 2020 par exemple, les IPOs en France ont rapporté 435 millions $ … contre 98 milliards $ aux États-Unis. 

 

Il faut noter aussi que les dividendes, tant décriés par ailleurs, sont l’équivalent des intérêts d’un prêt, à la différence qu’ils ne sont pas obligatoires.

Leur versement a surtout le caractère d’un investissement de l’entreprise soucieuse de garder l’intérêt des investisseurs pour une nouvelle émission d’actions. L’exemple le plus frappant de l’intérêt de la bourse pour l’entreprise est celui de Tesla, qui a récolté 5 milliards $ en septembre 2020 grâce à une nouvelle émission d’actions: 5 milliards $ non remboursables, immédiatement utilisés pour la production de batteries. 

 

L’importance des fonds et des très grandes banques 

L’épargne européenne, certes abondante, s’investit encore pour une large part dans les produits sans risque ou en dehors de l’Europe, en raison notamment de l’insuffisance des fonds européens. La supériorité américaine à cet égard est à nouveau écrasante, l’Europe ne disposant que d’une fraction du nombre des fonds d’investissements actifs aux Etats-Unis.

 

L’importance des banques pour l’industrie des fonds doit être soulignée, du fait de leur double connaissance, d’un côté, des entreprises en création ou en croissance et l’autre, des investisseurs à la recherche d’opportunités.

 

Une grande partie des fonds d’investissement américains sont ainsi créés et gérés par de grandes banques, présentes sur la totalité du territoire, capables d’identifier les besoins et d’attirer de nombreux investisseurs, d’un côté à l’autre du territoire américain..

 

JP Morgan « pèse » par exemple plus de six fois la BNP, première banque européenne. La circulation de l’information est instantanée ou presque. Par exemple, un chargé de compte de la BOA dans la banlieue de Phénix peut signaler à l’ensemble de ses collègues de la partie « banque d’investissements » la création d’une startup prometteuse par l’un de ses clients. Plusieurs clients investisseurs de la petite ville de Stamford, sur la côte Est des États-Unis font aussitôt état de leur intérêt. Un des multiples fonds gérés par BoA ajoute alors cette startup dans sa liste.

Nous n’en sommes pas là en Europe, et encore très loin d’une version européenne de la Silicon Valley. Un modèle qui montre pourtant la route à suivre, par la réunion « physique » des trois piliers de la création d’entreprises, les startups, le monde universitaire et la finance. 

 

Le pétrole de l’Europe  

La route est ainsi tracée pour l’Europe. La création d’un puissant marché européen des capitaux suppose la constitution de grandes banques pan-européennes, capables de diriger l’épargne européenne vers les milliers de fonds d’investissement susceptibles de faire émerger les futures GAFAM européennes.  BPI France, le premier fonds français, nous montre certes la route à suivre, mais l’État ne peut pas tout.

 

Il faut mesurer l’immense effort d’information et de formation qui s’impose dans cette démarche, au plan français, et aussi au plan européen. Il s’agit ni plus ni moins que de changer le rapport à l’argent des citoyens. La dimension culturelle du problème constitue le premier écueil à franchir pour gagner l’adhésion de l’opinion au projet d’Europe financière.

 

Il appartient au monde politique de contribuer également à la transformation des esprits par la mise en avant d’un danger de vassalisation des pays européens. Il existe une réelle menace géopolitique de domination des marchés financiers américains et bientôt chinois. Pour y faire face, l’Europe ne manque pas d’atouts. Elle dispose notamment d’une richesse rare, l’excédent de son épargne. Cette épargne s’investit pour une large part hors des frontières européennes et principalement aux États-Unis. Il appartient aux Européens de prendre conscience de cette dangereuse anomalie et de faire en sorte que le « pétrole européen » serve d’abord au développement de l’Europe.

 

 Alain Lemasson 

Centrale et insead, ancien banquier

 

 

 

 



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09/04/2024
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